Mon avis :
Dans l’impasse du bébé à moustaches, la statuette d’une madone va nous relater depuis sa niche une histoire pour le moins étonnante. Camille, une jeune femme vivant avec son père – qu’elle surnomme affectueusement Papa Tchou Tchou -, attend un heureux évènement. Tout le quartier semble ignorer de qui est cet enfant, et les commentaires acerbes de La Malisse – une vieille femme constamment alcoolisée qui ne quitte pas le café du village – vont bon train. Mais lorsque Camille accouche de la petite Lydie, cette dernière est un bébé mort-né. Camille sombre de jour en jour, en proie à un chagrin qui l’ensevelit petit à petit, jusqu’à ce qu’elle clame à tout le village que le Bon Dieu lui a rendu son bébé. Bien sûr, cela n’est qu’affabulation de sa part, probablement due à cette peine insurmontable qui semble la plonger dans la folie. Elle agit comme si Lydie était bien là, serrant contre elle ce bébé imaginaire, la promenant en poussette ou lui achetant du lait en poudre. Néanmoins, tout le quartier décide de l’aider et ses habitants font comme si Lydie était effectivement parmi eux : Madame Paris demande à prendre l’enfant dans ses bras, un habitant propose de lui fabriquer une chaise haute pour son enfant, une autre lui donne des vêtements trop petits… Même le curé accepte de la baptiser, l’institutrice de la prendre dans sa classe, saluant ses capacités en calcul mental, et le médecin est prêt à la soigner à toute heure.
Cette bande dessinée est extrêmement touchante. Elle met en scène la détresse de Camille, orpheline de mère car celle-ci était morte en couches en lui donnant la vie. Le père de l’enfant qu’elle porte ne se manifeste pas (il nous est d’ailleurs inconnu) et elle perd son bébé à la naissance. Quoi de plus horrible ? C’est avec beaucoup de pudeur que l’on assiste à la mise en bière de Lydie, car tout est suggéré et l’on ne voit pas son corps, ce qui rend le récit encore plus poignant.
C’est donc une brillante leçon de solidarité et d’humanité que nous offrent Jordi Lafebre et Zidrou, le tout avec beaucoup de douceur. C’est également une très belle démonstration de l’amour d’une mère, qui ne peut se résoudre à accepter la perte de la chair de sa chair. Ce splendide scénario est mis en scène grâce à des dessins qui ont, eux aussi, réussi à m’émouvoir. Les personnages parviennent à transmettre leur ressenti par le biais d’expressions du visage très travaillées, et les décors sont loin d’être négligés. En outre, j’ai trouvé que le fait d’avoir pris une madone pour narratrice est une idée tout aussi brillante qu’originale. Une petite annexe nous est proposée. Cette bande dessinée est magnifique dans ses moindres détails, jusqu’à sa couverture qui n’est pas en simple carton, mais recouverte d’une toile. Ne passez donc pas à côté !