Le mouvement cimondiste a gagné le monde entier. Ses adeptes se comptent par millions. Un mouvement qui a commencé dans les années 2000, avec un inconnu peu remarquable. Jérôme est un gentil. Un peu gauche, un peu timide. Il n’ose pas se dresser contre la méchanceté ordinaire, ces gens qui se plaisent à bousculer un peu ceux qui sont plus fragiles qu’eux, qui crient moins fort qu’eux. Il en fait souvent les frais. Son seul véritable ami et soutien est un collègue geek fan de StarWars qui n’a pas vraiment conscience des regards moqueurs autour de lui. Un jour, une page de magazine lui révèle qu’il ne supporte plus cela. Le voici qui se lance dans une vaste entreprise un peu utopiste: définir ce qu’est un méchant, les repérer, et même intervenir pour leur balancer leur méchanceté à la figure. Depuis celui qui jette son papier gras par terre dans le parc à celui qui humilie silencieusement l’employé du magasin qui ne peut pas répondre à sa demande, les méchants sont partout! Son collègue Etienne est très emballé par l’idée: le voici qui crée une page internet, un nom, une véritable brigade! Jérôme est un peu dépassé, même s’il prend un certain plaisir à voir les méchants renvoyés dans leurs buts. A commencer par ses collègues de bureau et surtout, la belle et hautaine Stéphanie.
Original, ce roman donne le pouvoir aux laissés-pour-compte, les ignorés, les losers de l’ombre. Qui n’a jamais rêvé de rabattre son caquet à la grande gueule du bureau, ou d’oser dire aux gens dans les supermarchés que ce n’est pas très correct de toucher à tous les fruits ou d’ouvrir les emballages? Comme la plupart des gens, le héros ici n’a pas assez de caractère pour prendre la place de meneur et sait juste baisser la tête en constatant que personne ne fait attention à lui. Le voici qui rend concret tout ce que nous voudrions faire dans ces occasions sans l’oser. Et qui se demande si finalement c’est une bonne idée. Car ce que j’ai aimé dans ce héros, ce sont ses nuances: au fond de lui, lui qui fustige les leaders aimerait bien attirer leur sympathie et ne sait pas trop quelle position adopter. Passer ses nerfs en traquant quelques méchants, oui; devenir le chef de file d’un mouvement redresseur de torts, pas sûr qu’il en ait réellement envie. Les rebondissements sont donc nombreux dans une aventure qui va peu à peu échapper à son créateur et se développer sans lui, dont il finira lui-même par devenir la cible.
Ce que j’ai un peu regretté, c’est que le roman soit si court: on s’arrête juste quand le mouvement commence à exister, alors que j’aurais aimé en voir un peu plus sur la manière dont il se répand réellement et dont il gagne de nouveaux adeptes. Mais cela mis à part, cela reste une très bonne lecture, qui donne le sourire voire la satisfaction de la justice rendue, et qui se lit avec une belle fluidité: nous lisons d’abord les articles de journaux consacrés à l’expansion du mouvement cimondiste, puis le journal de Jérôme, ponctuée de petites phrases toutes plus imagées les unes que les autres, telles que “La vie, c’est comme un escargot. On porte un lourd fardeau sur le dos, il faut en baver pour avancer, et ça laisse toujours des traces”.
Un excellent moment!