Ugolin a réussi. Après la mort de Jean de Florette et le départ de sa veuve et de sa petite Manon, il a pu récupérer facilement la ferme des Bastides pour y installer sa culture des oeillets, feignant de découvrir après coup la précieuse source qu’il avait volontairement bouchée. Il a donc fait fortune, comme prévu. Pourtant, son oncle et complice, le Papet, le presse de se marier, lui qui n’a pas d’autre descendant. Lui, les femmes du village, elles ne l’intéressent pas. Pourtant, un jour, il aperçoit Manon qui se baigne dans une source: il tombe fou amoureux. Car la petite fille a bien grandi, et vit en sauvageonne dans les collines qu’elle connaît par coeur et où elle mène ses chèvres et son ânesse. Elle ne s’approche pas des villageois. C’est par hasard qu’elle aperçoit le nouvel instituteur du village qui recherche des specimens géologiques pour sa classe, et c’est pour lui qu’elle va laisser à nouveau traîner ses oreilles du côté du village pour apprendre ce qui s’est réellement passé pendant son enfance.
J’avais été enchantée par le premier volume de L’eau des Collines, celui-ci n’a pas fait mentir le souvenir que j’en avais. Encore une fois, on se retrouve en pleine Provence, une Provence sauvage, qui ne pardonne pas, qui a réussi à faire d’une innocente petite fille un coeur presque sec se défiant des hommes. Les cigales ne chantent plus, mais la nature est toute-puissante et Manon force le respect par sa capacité à l’apprivoiser. J’ai été saisie par la puissance de ce personnage qui pourtant parle peu. On sent toute la lourdeur d’une innocence volée, tout ce dont elle a déjà conscience sur la nature humaine malgré son jeune âge. Elle reste pourtant très mystérieuse, et à l’instar des autres personnages du livre, le lecteur se contente souvent de l’observer de loin sans réussir à la comprendre complètement.
Aucun des personnages ne laisse d’ailleurs insensible. Ugolin, que l’on a tellement envie de détester, finit par susciter la pitié tant son histoire vire au drame, lui qui tombe amoureux de la fille de sa victime comme dans une mauvaise tragédie. Le vrai méchant de l’histoire, c’est finalement le Papet, celui qui a tout manigancé pour favoriser l’enfant du pays au détriment de l’étranger. Car au village, on est gentil, mais entre nous. Les autres, ils n’ont qu’à rentrer chez eux. J’ai eu un peu de mal avec la fin qui enchaîne les révélations fort à-propos, mais il faut avouer qu’elles ont le mérite de faire une véritable conclusion.
Ce qui est fort avec ces romans, c’est qu’à partir d’un thème du terroir, on parvient à nous entraîner sur une histoire de vengeance, de machination, de chantage, faisant de l’eau, encore elle, l’objet de toutes les convoitises, de tous les fantasmes, de toutes les malédictions, avec son lot de suspens, de tension, de gravité. Une véritable leçon de littérature.