Dans la famille Quéffelec, il y a la mère, pianiste, qui aime et prend soin de tout le monde. Il y a des enfants brillants, surtout Anne, la petite soeur, virtuose du piano qui décroche avec humilité tous les prix du conservatoire. Il y a le père, écrivain reconnu, talentueux, qui dirige la famille avec une autorité certaine. Et il y a Jean, un cancre, rêveur, un côté poète maudit qui admire son père autant qu’il le craint, et qui chérit sa mère. Une mère qui pourtant mourra jeune, d’une maladie qu’elle a cherché à cacher, à minimiser.
J’ai toujours un peu de mal avec les autobiographies. J’ai bien aimé l’angle de celle-ci: l’auteur y revient sur la mort de sa mère. Une mort qui l’a frappé de plein fouet par sa brutalité, paradoxal puisque sa mère était malade depuis longtemps, mais le lui a caché. Le point de départ est là: il va à la rencontre de celle qui a veillé sur ses jeunes jours, pleine de rêve et d’amour. Il retrace les lieux où ils ont vécu, leurs aspirations, leurs désirs, leurs bonheurs, leurs conflits aussi. A partir de cette perte, l’auteur retrace sa relation discrète et naturelle avec sa mère et surtout celle, qui l’est beaucoup moins, avec son père, l’écrivain admiré. Parce que l’enfant écrit, lui aussi, mais comment oser écrire quand l’imposante figure paternelle sert de référence? D’ailleurs, l’autre fils, brillant, reçoit tous les égards. Compliquée, pudique, mais profondément touchante, cette histoire de famille.
Mais ce qui ma surtout plu, c’est de suivre le feuilleton de la famille elle-même. Les rêves de la mère, par exemple. Là où la famille rêve de skier sur les pentes alpines, elle se contentera des ballons vosgiens. Là où la mère rêve d’un bateau pour tutoyer les flots bleus, ils n’achèteront finalement qu’un petit canot gonflable. Mais qu’à cela ne tienne, elle ne lâche pas. Et ce piano, qui va les brouiller avec tout leur voisinage, qui va leur attirer des plaintes et les pousser à déménager, car ils sont agaçants cette famille à travailler à la maison (oui, il est écrivain et alors?), à multiplier les bêtises dans la cage d’escalier ou à faire sonner l’instrument pendant des heures et des heures (quel conservatoire?).
La plume de Queffélec, que j’avais découverte il y a cinq ans dans Les Noces Barbares qui lui avaient valu un Goncourt, ne m’avait à l’époque pas du tout plu. Aujourd’hui, je la découvre alerte, pleine d’humour et de tendresse, souriante et touchante. Les chapitres courts, intercalés avec les lettres incendiaires de la copropriétés, les poèmes que l’enfant écrit ou les courriers de la mère pleine de vie, créent un rythme dynamique et une lecture très fluide. Cela colle beaucoup mieux à l’image que je me fais de la personne qui m’a dédicacé ce livre lors d’une lecture-concert où il accompagnait sa soeur pianiste: j’ai réellement eu l’impression de lire une écriture de soi d’une très grande justesse.