Eileen de Greer, fille unique d’un comte anglais, est en âge de se marier depuis déjà plusieurs années, mais cet esprit libre et vif n’est pas pressé de se plier à cet usage malgré les insistances de son père. Lors d’un bal, elle manigance avec son amie Charlotte pour que le dernier prétendant en date se
détourne d’elle et jette son dévolu sur sa jolie comparse. C’est à cette occasion qu’elle rencontre le comte Artus de Janlys. Ténébreux, fascinant, ses yeux verts et son sourire enjôleur la font chavirer. L’empressement avec lequel il lui tient compagnie ne peut que la réjouir, il s’empresse même de jouer les chevaliers servants en molestant les troublions qui se montrent trop gênants. Mais les fréquentations du comte de Greer inquiètent Eileen: il semble acculé, poussé à n’importe quelle extrémité par de mystérieux visiteurs. D’autre part, des meurtres sauvages terrifient la ville, et la curiosité d’Eileen est mise à rude épreuve devant toutes les rumeurs mondaines: les conflits religieux qui ont poussé autrefois sa famille à fuir l’Angleterre auraient-ils un lien avec l’une ou l’autre des affaires? Qu’importe: où qu’elle aille se cacher, l’empressement de Janlys ne faiblit pas, et il met un point d’honneur à se trouver sur son chemin avec une étonnante assiduité.
Il y avait longtemps que l’ambiance raffinée et mystérieuse d’un livre n’avait pas eu autant d’effet sur moi. Il s’agit avant tout d’un véritable roman historique: avec une plume ciselée, pesée, ornée, on nous plonge dans le Paris du XVIème siècle, avec son lot de robes somptueuses, de pierreries étincelantes, de coiffures aériennes, mais aussi de bandits de grands chemins. J’ai adoré suivre cette langueur métaphorique, ce vouvoiement permanent, ce passé simple qui se glisse dans les dialogues, cette langue délicate, précieuse. Grâce à ce style si soigné, on nous fait entrevoir une période politique sombre, sur fond d’affirmation du pouvoir religieux anglican.
Le personnage d’Eileen est assez fascinant: femme libre et indépendante comme il est assez mal vu de l’être à l’époque, surnommée Rose par ses proches, elle m’a pourtant souvent agacée par sa tendance à se mêler de tout sans se soucier des conséquences, et j’ai attendu avec un plaisir certain que les événements lui reviennent dans la figure pour lui faire comprendre de temps en temps que le monde ne tourne pas autour d’elle. Elle n’en est que plus attachante: toute la découverte de l’étrange univers dans lequel elle plonge nous est transcrit par ses yeux, avec ses inquiétudes, ses incompréhensions, et j’ai aimé qu’on parte du principe que le lecteur ne sait rien et a tout à découvrir.
Quant à Artus, il est de ces personnages charmeurs, riches, forts, chevaleresques et dangereux qui sèment des hordes de fan derrière eux. Mais loin de céder à ces clichés, il révèle vite une personnalité bien plus complexe et une histoire bien plus étonnante dans laquelle Rose ne joue peut-être pas le rôle si simple de la jolie élue du Prince Charmant. Et si l’apparition de son frère Adelphe semble là encore faire jouer une ficelle facile, le binôme qu’ils forment fonctionne bien et personnellement, j’ai préféré la figure franche, lumineuse et élégante d’Adelphe qui préfère se battre aux poignards plutôt qu’avec ses poings. Loin d’une simple romance, c’est une véritable initiation, avec les règles du groupe, son organisation, ses tabous et son histoire, qui attend Rose et le lecteur.
Dans tous les cas, le mystère sur le réel sujet du livre, sur l’endroit où va apparaître le fantastique, sur le rôle que Janlys va y jouer, est distillé très progressivement et c’est un véritable régal dans ce roman que d’avoir la puce à l’oreille, le doute, de former des hypothèses sans que jamais, pendant une grande partie du livre, un seul mot nous affirme clairement à quoi nous avons affaire.
Un coup de coeur pour moi!