Voilà maintenant près de deux siècles qu’Artus, comte de Janlys, a fait de la jeune Rose, comtesse de Greer, son infante et une créature de la nuit comme lui. Mais depuis maintenant dix ans, elle est en mission en Russie. Enfin, ce qui est officiellement une mission lui semble un exil interminable: dix ans qu’elle n’a aucune nouvelle de son mentor. Et le voilà qui la rappelle, soudain. Elle prend alors la direction de la France, mais pas seule: elle emmène avec elle Vassili, prince de Russie, dont elle a fait son servant pour combler sa solitude et qui semble particulièrement attaché à sa maîtresse. Ce dernier est accueilli plus que froidement par Artus ainsi que par son jeune frère Adelphe. Il faut dire que Rose est encore bien jeune pour prendre un serviteur, et cette marque d’émancipation n’est pas du goût de son mentor. Mais Rose a compris le message: les sentiments du comte à son égard, s’ils ont jamais existé, lui semblent bien éteints et elle met tout en œuvre pour dissimuler son trouble et sa souffrance, et se concentrer sur ce qui la rappelle vraiment au Manoir. La France est en effet, en cette fin de dix-huitième siècle, particulièrement agitée par une révolte qui gagne le peuple. Et en tant que chef de la maison Arimath, Artus se sent espionné et contesté. D’étranges créatures viles hantent les bois aux alentours du manoir et prennent de plus en plus de libertés. De plus, un mystérieux personnage, l’érudit, semble avoir toujours une longueur d’avance sur eux sur les recherches que mène Artus sur les origines de leur race.
J’avais fait du premier tome de Rose Morte un coup de coeur et j’avais grande impatience de découvrir la suite. J’ai été agréablement surprise de voir que deux siècles s’étaient écoulés depuis le précédent, ce qui donne une grande possibilité de renouveler le contexte: nous voici maintenant en France, pendant les prémisses de la Révolution, au cœur d’une société vampirique et aristocratique, donc doublement prise en haine. On devine en arrière-plan de l’histoire les agitations qui pourtant ne viennent pas inquiéter le comte plus que ce qui se passe dans son propre monde. L’ancrage historique est donc un délice à suivre encore une fois, et l’on se délecte de suivre cet univers à la fois élégant et ravagé. La langue particulièrement soignée, riche et soutenue avec un petit accent désuet, contribue à faire de ce roman une véritable plongée dans une autre époque, comme rares sont ceux qui savent le faire.
J’ai beaucoup aimé retrouver une Rose rebelle, revancharde, pleine d’un désir d’indépendance et refusant obstinément de se plier aux ordres arbitraires de son mentor, même si l’on devine que cette révolte est exacerbée par les sentiments bafoués qu’elle lui porte. La souffrance de Rose, ses hauts et ses bas, ses explications et ses non-dits, sont un fil conducteur du roman qui nous tient en haleine efficacement, même si l’on se demande un peu ce qu’attend Artus pour lui fournir des explications bien légitimes. Comme dans le premier tome, j’ai été particulièrement touchée par Adelphe, personnage plus doux et plus nuancé que son frère, plus accessible aussi, plus proche du lecteur. Cependant, contrairement à d’autres lectrices, je n’ai pas du tout adhéré à Vassili, le prince Slave. Je l’ai trouvé trop soumis, trop loyal, trop effacé, bref: souvent inutile, à part pour exciter la jalousie et le mécontentement de ses hôtes. Quant à Artus, je me suis régalé à le voir en méchant, plein de sous-entendus à souffler le chaud et le froid, mais il faut dire qu’en matière de littérature j’ai un faible pour les sales types.
Concernant l’intrigue, j’ai cependant un petit bémol à apporter: j’ai eu bien du mal à la suivre. Qui est qui, qui est dans quel clan, qui complote contre qui… les personnages, leurs origines, leurs races se multiplient et j’aurais bien eu besoin d’un petit aide-mémoire pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants politiques de l’histoire. Mais je sais que l’auteur a anticipé cette difficulté et prépare justement cet aide-mémoire sur le site internet du roman. Par contre, ce qui fonctionne particulièrement bien, ce sont les flash-back sur la vie de Rose pendant les deux siècles écoulés, son apprentissage de sa vie d’immortelle notamment. J’ai regretté que ces passages ne soient pas plus nombreux et qu’ils n’incluent pas davantage Vassili, ce qui aurait pu développer un peu plus sa relation avec Rose qui nous tombe dessus à la première page sans avoir été vraiment construite. De même, on découvre, à la fin du tome, beaucoup de chose sur l’histoire d’Artus et d’Adelphe et leurs familles (et Céline Landressie parvient encore à nous surprendre en les amenant là où on ne les attend pas), mais j’ai regretté que ces informations ne soient pas davantage distillées dans le roman, pour le rééquilibrer un peu, comme elle avait su si bien gérer la progression dans le tome 1.
e soyons pas chiche, cela reste un excellent roman que j’ai dévoré à pleines dents (sans mauvais jeu de mot).