Dans les quartiers nord de Marseille, dans un lycée professionnel, dans une classe de garçons, Dominique Resch, la cinquantaine passé, professeur de français-histoire-géographie, raconte son quotidien. On s’attend à la sortie des armes de guerre comme les médias nous en inondent. Et bien non. Certes, ce n’est pas toujours simple d’être professeur dans ce lycée. Mais ici, c’est le professeur émigré de sa Lorraine natale qui doit aussi essayer de s’acclimater. A commencer par les présentations de début d’année: éviter que la sacro-sainte fiche de renseignement ne semble sortie des dossiers de la police judiciaire. Ou l’attitude générale du professeur: ne pas s’énerver, être là où on l’attend pas, assoir son statut de prof. Etre prof, c’est se placer, voire se la raconter un peu, surtout face à ce public. A suivre par le langage. L’argot marseillais doit être compris pour ne pas être exclu du monde de ses élèves, et le prof se doit de savoir recaser dans une phrase “rayave”, “stamper” ou un simple petit bruit de langue “tk”. A force d’expérience, ce prof se rend compte de quelques petites choses qui fonctionnent pour devenir un membre de leur entourage à ces jeunes de banlieue. Et avec beaucoup de tendresse, d’auto-dérision, de lucidité, de patience, il nous raconte comment ces jeunes perçoivent la vie et l’école autour d’eux. Eux qui, à deux heures de Cannes, ne voient pas l’intérêt d’aller au festival à part pour damer le pion à Brad Pitt en matière de drague puisque de toute façon, Catherine Deneuve, elle est même pas connue vu qu’elle a pas joué dans Amélie Poulain.
J’évite souvent de trop me plonger dans ces multiples témoignages sur les banlieues et les fantasmes sulfureux qui tournent autour, parce que j’ai bien du mal à me situer par rapport à de telles réalités. Mais quand j’ai lu les avis sur les différents blogs, je me suis laissée tenter. Et j’ai tout simplement adoré le ton de ce professeur. Loin de présenter ces élèves comme des brutes sans aucune considération pour le savoir que l’Education Nationale a la bonté de leur transmettre, il les montre dans toute leur intelligence. En effet, quoi de plus intelligent qu’un élève qui dit qu’il ne comprend pas? Que la langue n’est pas claire? Que les gens agissent étrangement? Ou que Maupassant a trop la classe? Parce que oui, il met aussi en avant toutes les fois où ils s’intéressent, avec leur mot, avec leur ressenti, à ce contenu désincarné qu’on leur propose. Toutes les fois où ils préfèrent défoncer une porte plutôt que de taper sur un camarade, quitte à y rester coincer, et le talent avec lequel il faut désamorcer la crise par l’humour en étant conscient qu’on vient d’éviter le pire. Le talent de ce livre, c’est de montrer que ces élèves ne sont pas juste des brutes sans cervelles irrécupérables, mais qu’il faut aussi essayer de comprendre leur système pour les inciter à en sortir.
Mais ce que j’ai surtout aimé, c’est qu’ici, le professeur face aux cancres ne joue pas les héros à la solution miracle. Il se fait insulter sur le parking. Il a du chahut, voire des violences pendant son cours (la porte défoncée s’en souvient encore). Il a des fortes têtes qui se moquent ouvertement de lui pour faire rire les copains. Il fait finalement peu cours, dans ses anecdotes. Il a des bagarres très violentes dans la cour. On est bien à Marseille-nord, pas Neuilly. Ne nous leurrons pas. Mais parfois il y a aussi des petites lueurs d’espoir qu’il consigne dans ce livre avec énormément d’humour et de situations cocasses. Le récit d’une bagarre ponctuée d’argot marseillais, incompréhensible, donne lieu à un “Très bien, merci de m’expliquer” hilarant. Ou les élèves qui se tassent au fond de la salle de projection cinéma, au désespoir de l’hôtesse qui ne comprend pas que pour eux, ce sont ces places-là, les meilleures! Je me suis même parfois reconnue dans son portrait du prof qui fait le show, le caïd, qui se la raconte, parce que, authentique: ça marche! Le prof est toujours en représentation et doit garder le staïle et ça passe autant par la tasse de café sur le bureau que par la poubelle atteinte du premier coup.