Nathalie est auxiliaire de vie. Concrètement, elle s’occupe de petits vieux qui ne peuvent plus s’occuper d’eux-mêmes. Elle fait le ménage, la cuisine, leur fait parfois un peu la conversation. Mais avec Maurice, c’est plus difficile: il ne veut pas parler. Il vit mal sa solitude et son début d’Alzeihmer. Chacun s’enferme alors dans le mutisme. Nathalie va essayer des stratagèmes. Il ne veut pas parler? Qu’il écrive. Il joue le jeu… Et lui demande de lire à voix haute ses souvenirs, pour ne pas oublier. Ses souvenirs sont consignés dans le journal intime de sa grande soeur. Il se focalise surtout sur un épisode: mai 1940. Quatre personnages hauts en couleurs fuient la France occupée par les nazis. Il y a Gaby, la star du Music Hall; Paul, le décorateur unijambiste; Nina, sa femme; et Oscar, le compositeur. Avec leur gouaille et leurs maigres économies, ils cherchent à gagner Bordeaux pour partir vers les USA. Mais leur Bugatti tombe en panne sèche devant la jeune Diane, dix-sept ans, qui surprend une de leurs conversation et comprend qu’il s’agit de personnalités du show-business. Elle leur propose alors de loger chez elle avec sa mère, la douce Hélène, et son petit frère Maurice, le temps de trouver de l’essence, devenue rare dans une France qui commence à être rationnée.
Ce roman est une très belle découverte. Il alterne les épisodes racontés du point de vue de Nathalie, ceux du point de vue de Maurice et ceux qui relatent le mois de mai 1940 si riche en émotions et en rencontres. Le rythme est donc efficace puisqu’on suit plusieurs histoires qui finissent par se croiser, se répondre, se compléter même: à la suite d’un article du journal de Diane, Maurice ajoute une confidence pour le prolonger. Pour autant, au début, on ne sait quasiment rien des personnages et c’est peu à peu qu’ils prennent place les uns par rapport aux autres, qu’on apprend que le petit Maurice de 1940 est bien le vieux Maurice que l’on menace d’enfermer dans une maison de retraite, que les quatre protagonistes se sont rencontrés dans de drôles de circonstances et que leur route vers le Sud ne s’est pas fait sans heurts.
Mais son gros point fort, c’est le point de vue très original qu’il donne sur une période très précise de l’histoire: cet exode massif des Français et tout ce qui peut se passer sur le chemin. La plupart du temps d’ailleurs, on ne se sent pas en guerre: les personnages ont le chic pour créer des situations sereine, heureuses, pleines de vie et de tendresse. Pourtant, ils scrutent tous les articles annonçant la progression du conflit: Hélène attend avec anxiété des nouvelles de son mari parti au front, Diane se suspend au poste de radio, les mécaniciens ne sont plus disponibles car mobilisés… Mais dans le secret du manoir baptisé Paradis, la vie entre de parfaits inconnus s’organise, sur fond d’aventure et de liberté volée à l’histoire. Une bouffée d’air frais.