A Castle Rock, Joe Camber, garagiste, vit avec sa femme Charity et leur fils Brett, d’une dizaine d’année. La famille n’est pas franchement heureuse: Charity craint son mari, violent, qui refuse de la laisser rendre visite à sa soeur et encore moins avec l’enfant. En attendant, Brett a pour ami Cujo, un Saint-Bernard, un mastodonte de cent kilos doux comme un agneau. Ils reçoivent la visite de Vic et Donna Trenton, pour réparer la Pinto de Donna dont le moteur a de plus en plus de ratés. Vic et Donna ont un fils, le petit Tad, cinq ans, terrorisé par un monstre dans son placard. Malgré les efforts de ses parents pour le rassurer, il faut reconnaître que l’ambiance est plutôt à l’inquiétude, et Donna elle-même se prend à regarder le placard avec suspicion. Mais le gros du problème n’est pas là. Vic travaille beaucoup, Donna s’ennuie dans cette bourgade d’Amérique profonde où il l’a emmenée, et elle a eu une liaison. La crise s’annonce. C’est alors que le brave Cujo, en poursuivant un lapin, dérange une chauve-souris qui le mord. La rage, rien de plus simple. Et petit à petit, le poison fait son chemin dans le cerveau du brave chien.
Au sortir de ma lecture, je reste bluffée par la construction narrative si simple et pourtant si cohérente de ce roman. Car au début, je me demandais franchement où on voulait en venir. D’abord avec cette histoire de voyage de famille de Charity, cette femme terrifiée par un mari aussi répugnant que ridicule. Certes, Stephen King m’a habitué à se servir de ses romans terrifiants pour proposer un éclairage sur la société américaine qu’il a si bien mise en scène, mais j’a eu l’impression que ça n’allait pas bien loin. Idem pour l’autre couple: si j’ai été plutôt intéressée par cette femme au foyer américaine qui se console avec le poète mauvais garçon volage, je me suis demandée ce que l’analyse des couples en crise venait faire dans une histoire de chien enragé. Pourtant, dès qu’on atteint le climax du roman, à savoir l’attaque du chien, tout prend sens: il FALLAIT que le garagiste se retrouve seul, sans femme et enfants, à ce moment-là et il FALLAIT que Vic croit sa femme partie rejoindre son amant pour que le terrible huis-clos qui va opposer le chien fou à sa victime prisonnière d’une voiture en panne soit si poignant.
Passée cette acclimatation, Stephen King montre ici toute son habileté à créer une figure de monstre très subtile. Car à Castle Rock, on parle encore de Frank Dodd, tueur psychopathe qui avait terrifié la population. Et dans le placard, les yeux rouges du monstres se rallument bien, malgré le soin que Donna a à fermer la porte ou à ranger correctement les linges qui projettent des ombres trompeuses. Alors lorsque la bonhommie bienveillante du chien, meilleur ami de l’homme, véritable nourrice pour l’enfant, tourne à la folie furieuse et meurtrière, même si on nous affirme que le poison qui le ronge est un simple virus, transmis de la façon la plus bête possible, on ne peut s’empêcher de se dire qu’il y a quelque chose qui plane, que le monstre ne guette qu’une occasion pour s’incarner encore et ailleurs. Un fantastique dans la plus pure tradition, donc, où à l’horreur d’assister au bain de sang se mêle le doute, la certitude que le réel ne suffit pas à expliquer les événements. Et rien que pour cela, chapeau, monsieur King.