Thya, la jeune oracle romaine, a remonté le fil du temps pour en modifier le cours. Désormais, Rome n’est plus cet empire de conquête que notre histoire a toujours connu. C’est un empire de magie et de devins, sous la houlette d’Aylus, son oncle oracle devenu empereur. Elle-même n’a jamais été obligée de fuir son propre pays: elle est princesse royale, et vit en patricienne aisée. Elle sent pourtant, dans ses rêves et dans ses visions, des réminiscences de son autre vie. Au même moment, les complots contre cet étrange empire des oracles grondent, et Enoch, qui vit à la cour auprès d’elle, disparaît subitement.
En latiniste convaincue, j’ai retrouvé avec un immense plaisir la Rome Antique imaginée par Estelle Faye sous de toutes nouvelles couleurs. C’est une habile pirouette que ce troisième tome. En effet, les deux premiers nous ont amenés à soutenir les oracles et à espérer leur victoire. Ici, ils sont au sommet de leur pouvoir et pourtant, cette uchronie n’a rien de plaisant. Autour d’un empereur enfermé dans son temple, l’empire se délite et sombre dans le chaos. A croire que le destin de Rome est de péricliter, quel que soit le Dieu qui la guide, et qu’on ne peut échapper à la marche de l’histoire, quel que soit le pouvoir qui est le nôtre.
Car nous ne sommes pas dans une banale uchronie. Les dieux romains sont bien au centre de ce conflit, avec toute la fatalité qu’ils incarnent, et ils tirent les ficelles de leurs petites marionnettes humaines comme dans n’importe quelle tragédie antique. Mangés par leurs ambitions, les hommes finissent dévorés par la puissance de Baal, le dieu du Chaos, et à Rome se dessine un duel entre Apollon et Mars, entre les augures et les glaives.
On ne peut cependant s’empêcher de trembler pour ces pauvres humains qui vont s’entre-déchirer pour des enjeux qui les dépassent, à commencer par le nouvel Empereur Aylus lui-même, écrasé par un empire dont il perd le contrôle depuis le fond de son temple d’Apollon. Fascinante, par ailleurs, est cette Oracle Brûlée, cette mystérieuse femme qui sait tout de l’avenir, qui lui a donné son pouvoir et que ne souhaite plus que le lui reprendre maintenant. Mais pour ma part, je reste séduite par Enoch, dont la transformation est radicale, et qui garde pourtant ce mélange de gouaille charmeuse et de puissance sourde.
Du mur d’Hadrien et des Pictes de Britannia aux côtes africaines et aux murailles de Carthage, encore une fois c’est tout le monde antique dans sa diversité et son fragile équilibre que cette série nous emmène visiter, en confrontant les mythologies qui se recoupent et se répondent.