Dans la cité, la star, c'est Aswad, le rappeur, qui enflamme la piste. Mais les chansons qui font la gloire d'Aswad, il est incapable de les écrire. C'est Sam, qui les écrit. Sam qui ne parle pas, qui ne lâche jamais un mot, qui ne s'exprime qu'avec un stylo sur son carnet. C'est Nora qui va bousculer les choses, la belle Nora aux cheveux retenus en chignon par une baguette chinoise, avec sa grâce et son sourire. Nora que Aswad kiffe depuis l'école primaire. Lorsque Nora vient en coulisse se faire dédicacer le CD, Aswad lui présente Sam. Et Sam ne peut plus se sortir Nora de la tête. Il regarde les tours où elle vit, au onzième, depuis la fenêtre de son studio. Il écrit des poèmes où Nora fait tomber la nuit quand elle détache ses cheveux, où les fleurs poussent sous ses ballerines et où toutes les tours du monde ne peuvent pas les séparer. Nora, elle, aime l'école, les belles paroles, la tendresse et la littérature. Mais les mots ne l'aiment pas. Elle ne voit que le rouge, cicatrices sur son orthographe désastreuse. Il est déjà difficile pour elle d'être une jolie fille dans une cité, plus difficile encore d'être brillante.
Mon Dieu que j’ai aimé ce livre! Et pourtant comme j’ai été rebutée par ce titre que je trouvais niais au possible. Mais dès les premières pages, j’ai été épatée par la qualité de l’écriture. On a beau parler d’une histoire de cité, le parti pris est de faire une langue belle, poétique, puissante, aussi percutante que raffinée. Comme si on savait que le monde est laid, que la fange est partout, et qu’on cherche à le repousser avec une langue qui semble sortie aussi bien des tripes que des étoiles. Je suis tout particulièrement sensible à cela, et j’ai écouté cette histoire se raconter avec délectation et ferveur.
Car grâce à cette ambiance, ce soin si particulier à la manière de raconter, on oublie assez vite que ce roman nous parle du monde des cités. Le sujet est sensible, c’est difficile d’en parler sans être dans la critique sociale bourrée de stéréotypes. Là, le point fort, c’est justement d’écarter tout l’aspect social à grand coup de poésie et d’histoire d’amour. Alors bien sûr, Sam deale de temps en temps sous son réverbère, bien sûr Heine et Ken revendent plein de choses “tombées du camion” ou piquées à Auchan dans leur “Bon Coin”, bien sûr le grand frère de Nora doit subir les regards un peu trop appuyés des autres garçons sur une soeur qui, si elle était la leur, ne se conduirait pas comme ça. Mais on fait ce qu’on peut pour ne pas y penser, ce n’est qu’un décor: ce qui importe, c’est le courage qu’il faudra à Sam pour avouer son amour à Nora, quitte à être le romantique à l’ancienne qui lui écrira des poèmes et des lettres d’amour; c’est le combat de Nora pour être prise au sérieux malgré ses fautes de français, son origine, son genre; c’est la hargne d’Aswad qui doit sauver la face à tout prix dans un monde où l’apparence est tout. C’est l’espoir qu’on a que dans un monde aussi dur, l’amour finisse par s’imposer, se hurler par les fenêtres, s’écrire, se déclamer, bref: se montrer.
On manque néanmoins le coup de coeur à cause de la fin, trop dure pour moi.