Tout commence par une banale partie de cache-cache. En essayant de se cacher mieux que sa petite soeur, sa cousine et son meilleur ami, Khéléan se glisse dans une brèche dans un grillage et se retrouve dans une vieille maison. Un étrange anglais est en train de se livrer à de drôles d’expérience incluant des bracelets électroniques et des tenues médiévales. Mais lorsqu’il se fait repérer, il comprend qu’après ce qu’il vient d’assister, le vieil anglais ne le laissera pas partir vivant. Alors il glisse à son poignet l’un des bracelets électroniques. Et le voilà propulsé dans le temps, plus exactement en 1425. En plein Moyen Age, ses basket font sensation… Mais il comprend vite que le bracelet qui l’a emmené là est une version primitive, qui ne permet pas de retour. Alors il se rappelle de ce qu’il a entendu du funeste projet du vieil anglais et met le cap sur le village de Domrémy. Là, une jeune fille va bientôt entendre les voix mystiques qui la pousseront, quelques années plus tard, à rejoindre l’armée française dans sa lutte contre les Anglais. Mais pour le moment, Jeanne d’Arc n’a que treize ans, et ne s’attend pas une seconde à ce que d’étranges êtres venus d’un autre monde lui apparaissent. Et si ce qu’elle prend pour un message divin n’était autre qu’une visite du futur?
Le postulat de départ de ce roman est très intéressant. Il part du principe que les grands événements qui ont marqué notre histoire ne sont en fait pas dû au déroulement normal des choses mais ont été programmés, a posteriori, par des humains futurs qui auraient trouvé la possibilité de remonter dans le temps pour réécrire leur passé afin de modeler leur propre avenir. J’avais déjà adoré cette idée dans le Péplum d’Amélie Nothomb. Ici, ce sont les célèbres visions de Jeanne d’Arc qui sont créées de toutes pièces par des voyageurs temporels, de même que son étonnante combattivité pour une paysanne du XVème siècle qui est la conséquence d’une préparation et d’un entraînement dispensés par ces mêmes voyageurs. Mais dans quel but? La lutte millénaire anglo-française qui a pris fin à la fin du Moyen Age aurait-elle pu avoir de toutes autres conséquences? Voici la piste qu’explore cette intrigue et sur laquelle je l’ai suivie avec avidité.
Mais outre une superbe variation sur les thèmes de l’uchronie et les mondes parallèles, ce roman explore également tous les replis qu’implique une modification du passé et une circulation dans les strates du temps. Quelle action provoquée par quelle autre faut-il absolument empêcher, quel événement doit absolument avoir lieu pour que les événements qui nous ont conduit là ne soient pas purement et simplement effacés à la source? C’est complexe et pourtant c’est passionnant de suivre cette gymnastique intellectuelle qui défie les lois de la (chrono)logique : puisque tout commence pendant cette partie de cache-cache avortée, à quel moment intervenir pour que Khéléan et ses amis puisse bien sauver l’histoire mais ne pas se mettre en danger?
Car sur cette double histoire scientifique et historique viennent se greffer des personnages extrêmement attachants. Jonathan l’orphelin, qui a pour seul raison de vivre de retrouver ce Khéléan dont ses ancêtres lui ont révélé l’existence via une lettre vieille de cinq siècles. Estéban et Halima, les forains, les parias de l’époque chrétienne, qui n’hésitent pas à venir en aide à nos voyageurs temporels, parce qu’entre exilés, on se comprend. Et bien sûr, Khéléan lui-même, qui ne s’attend pas à voir sa vie aussi bouleversée par la petite Jeanne. On espère les voir s’en sortir en héros, se rapprocher, se comprendre. Je n’en ai pas perdu une miette!