Au beau milieu d’une forêt, une femme, nue, est pendue à un arbre. On l’a laissée pour morte… Mais elle se balance, au bout de sa corde, et parvient à se libérer. Cette femme, c’est la comtesse de la Fère. Et celui qui a voulu la mettre à mort, c’est son propre mari, après avoir découvert que son épouse, si belle, portait sur son épaule une fleur de lys, marque de l’infamie. Pour un écart de conduite commis dans sa jeunesse, elle devra donc subir toute sa vie le mépris des hommes et leur dégoût. La voilà qui quitte la France pour l’Angleterre. Alors qu’elle regarde la mer, sous la pluie, du haut de sa falaise, Lord de Winter s’éprend de la belle Française, et l’épouse. L’occasion pour la nouvelle Milady de commencer une nouvelle vie. Mais sa flétrissure la poursuit: elle interdit à son époux de la voir nue. Lorsqu’il la surprend déshabillée dans sa chambre, la terreur reprend le dessus, et elle le tue d’un coup de pistolet. La malédiction semble la poursuivre: les hommes la désirent, mais la méprisent. A commencer par le séduisant Lord de Buckingham, qui la mettrait bien dans son lit, avec ou sans son consentement. Veuve, enceinte, la belle Milady se terre chez elle, lorsqu’on lui annonce la visite d’un homme qui vient lui offrir sur un plateau sa revanche sur les hommes et sur la vie: un certain Cardinal de Richelieu.
Le personnage de Milady est l’un de ceux de la littérature que je préfère: l’archétype de la méchante, la femme fatale dans tous les sens du terme, qui sème la mort sans se salir les mains ou presque, qui fascine mais qui fait froid dans le dos, qui traverse comme un spectre un des meilleurs romans d’Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, en y laissant pourtant une empreinte indéniable. Cette bande-dessinée propose d’en faire une héroïne, de raconter l’histoire de son point de vue à elle. Si elle n’en devient pas moins fatale, elle la remet aussi dans la place qui est celle d’une femme dans une intrigue d’homme: ici, c’est pour s’être sauvée du couvent avec le moine dont elle était amoureuse qu’elle a été marquée d’infamie jusqu’à la fin de ses jours, et que c’est cette marque qui l’oblige à se méfier des hommes qu’elle croise. Milady est une femme désabusée, qui ne croit plus en l’amour, et même les sentiments que Dumas lui avait donné pour de Warde ne sont que feints pour les besoins de son travail d’espionne. Son enfant lui-même ne lui inspire pas grand-chose. Histoire d’arranger la situation, elle subit pas moins de deux viols, puisque deux hommes aussi éhontés que grossiers profiteront des circonstances troubles pour se glisser dans son lit. Elle en est aussi froidement terrifiante que profondément pathétique.
Agnès Maupré propose donc une version profondément moderne de ce personnage, non plus baignée du romantisme de Dumas mais avec un cynisme non dissimulé et une grande complexité du personnage. Souvent victime, animée par un désir de vengeance qui passerait presque pour de la justice, elle n’est pourtant pas irrécupérable puisqu’elle finit par aimer son enfant et se confie volontiers à Constance Bonacieux, qu’elle retient prisonnière pour atteindre D’Artagnan mais qu’elle considère comme sa seule amie. Un subtil mélange de cruauté et de tendresse se distille tout le long de ces deux tomes, porté par un dessin vif et franc, sans fausse pudeur, et un langage qui ne s’embarrasse pas de lourdeur historique: Milady de Winter vit peut-être dans un décor du 17ème siècle, mais elle est peut-être trop avant-gardiste pour cette époque qui fait d’elle une espionne meurtrière, et elle s’accommode plutôt bien du coup de jeune du crayon et de la langue.